Blog-Plateau Mont-Royal
Traces anciennes et mémoire effacée
Avant l’arrivée des colons français, le territoire du Plateau Mont-Royal faisait partie des terres fréquentées par les peuples autochtones, notamment les Kanien'kehà:ka (Mohawks), qui utilisaient la région comme zone de passage, de chasse et d’échange. Ces présences millénaires ont été largement effacées des récits officiels, mais leur mémoire reste inscrite dans le paysage, même de manière invisible. Avec l’arrivée des Européens, les terres sont peu à peu concédées à des communautés religieuses. Le futur Plateau, alors rural, est occupé au 18e siècle par des terres agricoles appartenant aux Sulpiciens, aux Sœurs de la Congrégation de Notre-Dame, et aux Sœurs Hospitalières. Le développement urbain ne débutera vraiment qu’un siècle plus tard, à mesure que Montréal croît vers le nord.
La Société canadienne d’opérette, nichée sur la rue Saint-Denis, rappelle que le Plateau a longtemps été un lieu de création musicale. Les détails sculptés de la façade rendent hommage à cet héritage vibrant.
Croissance urbaine et essor des faubourgs
C’est au 19 ème siècle que le Plateau amorce son urbanisation rapide. Le prolongement des rues depuis le centre-ville, l’ouverture du tramway, l’essor du chemin de fer et la création de parcs comme le parc La Fontaine transforment peu à peu le paysage. D’abord composé de villages semi-ruraux comme Côte-à-Baron, Saint-Jean-Baptiste ou Saint-Louis-du-Mile-End, le Plateau est progressivement intégré à la ville de Montréal. Ce développement s’inscrit dans le contexte plus large de l’industrialisation et de l’exode rural. Les terrains sont lotis, les maisons s’alignent, et de nouveaux quartiers ouvriers émergent pour loger une population grandissante. L’architecture du Plateau — modeste mais ingénieuse — naît de cette époque de transition.
Symbole du développement du Plateau, le parc La Fontaine rappelle les origines semi-rurales du quartier et son intégration progressive à la ville.
Le plateau ouvrier et artisanal : ruelles, escaliers, balcons
À partir des années 1880, le Plateau Mont-Royal prend véritablement forme à travers un tissu serré de rues orthogonales, bordées de duplex et de triplex typiques. Construites en brique, ces habitations ouvrières aux balcons de fer forgé et aux escaliers extérieurs en colimaçon témoignent d’un savoir-faire local, façonné par les maçons, menuisiers et forgerons de l’époque. Derrière les façades, la vie de cour, les ruelles animées et les logements étroits accueillent des familles francophones, mais aussi de nombreuses communautés immigrantes — notamment juives, grecques et portugaises — qui participent au dynamisme du quartier. Le Plateau devient un microcosme de Montréal : dense, populaire, créatif, avec une architecture domestique qui parle à la fois de modestie, d’ingéniosité et d’enracinement.
Duplex en enfilade, façades rythmées, lucarnes coquettes : le Plateau déroule ici l’un de ses motifs résidentiels les plus emblématiques, entre sobriété ouvrière et fantaisie colorée.
Rue Henri-Julien, entre Roy Et Duluth.
Dans les ruelles du Plateau, l’architecture se fait vivante : escaliers, plantes, clôtures et objets accumulés racontent la quotidienneté d’un Montréal habité, transformé, adapté.
Au sud de la rue Duluth, entre les rues Saint Christophe et Saint-André.
Quartier d’artistes et mutations urbaines
Dès le milieu du 20 ème siècle, le Plateau commence à attirer une nouvelle population : artistes, intellectuels, étudiants et travailleurs du milieu culturel s’installent dans ces logements accessibles, souvent délaissés par les familles vers la banlieue. Le quartier devient alors un foyer d’effervescence littéraire, musicale et politique. Les cafés de l’avenue du Mont-Royal, les librairies de la rue Saint-Denis, les théâtres de quartier composent un paysage vibrant, où l’art de vivre rejoint celui de créer. Mais cette vitalité entraîne aussi des transformations : depuis les années 1990, la gentrification modifie le visage social du Plateau. Le charme de ses ruelles, la beauté de ses façades et l’âme de ses anciens logements attirent une nouvelle classe moyenne, parfois au détriment des familles et des artisans d’origine.
Terrasse fleurie sur la rue Saint-Denis. L’un des innombrables cafés du Plateau où la ville s’écoute, se regarde, se vit.
Sur les murs de brique, un escalier rose raconte les métamorphoses d’un quartier devenu terrain d’expression et de réinvention urbaine.
Rue Drolet, au nord de la rue Roy
Un patrimoine du quotidien à préserver
Le Plateau Mont-Royal ne se résume pas à ses clichés touristiques. Derrière les façades aux teintes pastel, les escaliers en volutes et les murs de brique patinés, c’est tout un art de vivre urbain qui s’exprime — fait de proximité, de lumière, de mémoire. Pour qui prend le temps de marcher lentement, l’architecture du quartier révèle une poésie discrète : un vieux porche sculpté, un vitrail ancien, un balcon de bois ouvragé. En tant que photographe, j’ai voulu capter ces détails ordinaires et pourtant singuliers, qui témoignent d’une époque où chaque maison racontait une histoire. Documenter ce patrimoine, c’est pour moi une manière d’honorer les gestes du passé, tout en éveillant les consciences face aux risques d’un effacement progressif.
Sous son manteau de brique et sa coiffure de tôle, cette maison centenaire chuchote les récits d’un quartier façonné par la main de l’artisan. Chaque détail, du balcon tourné à la lucarne triangulaire, raconte une mémoire silencieuse.
Rue Saint-Hubert, au sud de la rue Duluth.