Blog - Saint-Henri

Origines et toponymie du quartier

Bien avant les cartes, les noms et les limites administratives, le territoire que l’on appelle aujourd’hui Saint-Henri faisait partie des terres parcourues et habitées par les peuples autochtones, dont les Kanien’kehà:ka (Mohawks), gardiens traditionnels de la région. Plus tard, avec l’arrivée des colons français et l’établissement de domaines religieux, le quartier prend une forme nouvelle, marquée par l’histoire coloniale. Son nom complet, Saint-Henri des Tanneries, rappelle à la fois une activité fondatrice et une filiation spirituelle : en 1810, les Sulpiciens le baptisent en hommage à Henri II, empereur du Saint-Empire romain germanique, saint Henri étant le saint patron du supérieur sulpicien Auguste-Henri Proux. Ainsi, sous l’apparente neutralité du nom, se cache une trame complexe où se superposent les couches spirituelles, artisanales et politiques. Aujourd’hui encore, les échos de ces origines vibrent dans les anciennes appellations du quartier : Côte Saint-Pierre, Les Tanneries, Saint-Henri des Tanneries… autant de noms qui disent la mémoire enfouie d’un lieu façonné par les mains et les récits.

De terres agricoles à villages ouvriers

Au fil des siècles, les terres fertiles bordant le canal de Lachine se fragmentent et se transforment. On y trouve d’abord des exploitations agricoles, puis, avec la croissance de Montréal, une mosaïque de villages distincts : Côte Saint-Paul, Saint-Augustin (futur Verdun), Sainte-Cunégonde (actuelle Petite-Bourgogne), Coteau Saint-Pierre… autant d’entités aux identités bien marquées, dont les frontières fluctuent au gré des décisions religieuses, commerciales et politiques. En 1874, Saint-Henri est officiellement érigé en municipalité, détachée de la grande paroisse d’Hochelaga. Son territoire, alors vaste, s’étend jusqu’au fleuve et englobe une partie de ce qui deviendra plus tard Westmount. Cette configuration initiale, aujourd’hui oubliée, explique la richesse architecturale du quartier : à la croisée des zones rurales et industrielles, Saint-Henri accueille une architecture hybride — ni tout à fait ouvrière, ni tout à fait bourgeoise — où se côtoient maisons de brique modeste, résidences victoriennes et bâtiments publics imposants.

Le canal de Lachine : moteur d’une transformation

L’ouverture du canal de Lachine en 1825 bouleverse l’économie et le visage de la Pointe-Sud-Ouest de Montréal. Saint-Henri devient un carrefour industriel majeur : tanneries, ateliers de ferblanterie, fonderies et usines textiles s’installent en bordure du canal, attirant une main-d’œuvre abondante. L’urbanisation s’accélère. Les rues étroites, les ruelles transversales, les logements en rangée aux balcons de fer forgé ou de bois sculpté témoignent de cette effervescence. On construit vite, mais non sans soin : même les maisons ouvrières les plus modestes portent encore aujourd’hui la marque d’une fierté architecturale, avec leurs corniches ouvragées et leurs façades aux couleurs vives. Le quartier se peuple, se densifie, tout en gardant une cohérence morphologique propre à cette époque d’intense développement industriel.

Crises, déclin et luttes citoyennes

Après l’âge d’or industriel, Saint-Henri subit de profondes transformations. La fermeture du canal en 1970, l’exode des industries et les politiques d’expropriation laissent des cicatrices. Plusieurs îlots ouvriers sont rasés, des familles déplacées. Mais le quartier résiste. Porté par une tradition de solidarité, il devient un terreau fertile pour les mouvements communautaires et la défense du logement social. Sur le plan architectural, le tissu urbain se fragilise, mais ne disparaît pas. Des maisons en brique aux frontons effrités, des balcons penchés, des corniches disparates : autant de signes d’un quartier qui survit, vaille que vaille, à travers les vents contraires. C’est aussi dans cette période de turbulences que s’ancre une conscience du patrimoine, qui nourrira plus tard des efforts de préservation.

Mémoire vive et renaissance

Aujourd’hui, Saint-Henri renaît, mais sans perdre ses blessures. Les lofts investissent d’anciennes manufactures, les cafés s’installent dans les anciens entrepôts. Mais derrière les murs rénovés, l’âme du quartier persiste : celle des ruelles habitées, des anciens villageois devenus témoins d’un monde en transition. Pour moi, le travail photographique dans ce quartier n’est pas qu’un exercice esthétique. Il s’agit d’un engagement envers la mémoire ouvrière, envers une architecture vernaculaire qui porte encore les marques du labeur, de l’ingéniosité et de la résilience. Photographier Saint-Henri, c’est interroger la trace, traduire en lumière les récits d’un lieu qui continue d’évoluer, entre effacement et transmission.

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